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Le paradoxe de compétition et de collaboration avec les robots : Comment gérer les tensions coopétitives qui émergent dans les interactions humain-robot à l’ère de l’Intelligence Artificielle ? Les robots prennent de plus en plus de place dans notre société et vont jusqu'à remplacer les humains au travail. Par exemple, en Chine, un robot virtuel[1], doté d'une intelligence artificielle, est désormais devenu le PDG d’une grande entreprise de jeux vidéo, capable de travailler 24h/24h sans être payé « Net Dragon Websoft » (Europe1, 2022). Aussi, le robot humanoïde de Tesla Optimus (appelé aussi "Tesla Bot"), a été conçu à partir de des recherches menées pour développer les véhicules semi-autonomes. Il a le même type de capteurs que ceux embarqués sur les véhicules et ce sont les mêmes processus pour collecter les données et entraîner les modèles d'intelligence artificielle (Usine-Digitale, 2022). L’objectif de ce robot est qu'il puisse se repérer de façon autonome dans son environnement et se diriger tout seul. Par exemple, effectuer des tâches du quotidien, comme aller faire des courses dans une épicerie (Capital, 2022). Plus surprenant encore, outre que Siri d'Apple (Kaplan & Haenlein, 2019), Watson d'IBM, Waymo de Google et Optimus de Tesla, qui prennent régulièrement des décisions autonomes ou semi-autonomes dans un nombre croissant de domaines (Berente, Gu, Recker & Santhanam, 2021), ChatGPT[2], considéré aujourd’hui comme le premier robot conversationnel intelligent, est capable de tenir une conversation, de répondre aux interrogations des humains et parfois capable de faire leur travail à leur place (Le Figaro, 2022). A l’instar de ces nombreux exemples parmi tant d’autres, les organisations déploient de plus en plus d'artefacts amenant les chercheurs à repositionner l'intelligence artificielle (IA) et les big-data au cœur du débat actuel dans la recherche en gestion (Raisch & Krakowski, 2020). L'avènement de cette « ère des machines » émergente bouleverse les théories traditionnelles en redéfinissant les pratiques managériales (Kolbjørnsrud, Amico & Thomas, 2016), les stratégies marketing (Davenport, Guha, Grewal & Bressgott, 2020 ; Swaminathan et al., 2020), la conception entrepreneuriale (Berglund, Bousfiha, & Mansoori, 2020 ; Obschonka & Audretsch, 2019 ; Lévesque, Obschonka & Nambisan, 2022) et vision stratégique de l’avantage concurrentiel (Gregory, Henfridsson, Kaganer & Kyriakou, 2020 ; Iansiti & Lakhani, 2020 ; Krakowski, Luger & Raisch, 2022). Alors que les artefacts numériques sont de plus en plus répandus dans les contextes managériaux (Berglund et al., 2020), les chercheurs en gestion et en organisation devraient s'efforcer de décrire et d'analyser comment les artefacts numériques sont utilisés pour permettre des décisions meilleures, optimales et rapides en combinant efficacement les décideurs humains et algorithmiques pour exploiter les avantages de chaque approche (Shrestha, Ben-Menahem et Von Krogh, 2019). Une grande partie de l'attention portée à l'avenir du travail s’est centrée sur la relation entre l'intelligence artificielle (IA), la robotique et les humains (Wilson & Daugherty, 2018, Malhotra, 2021; Anthony, Bechky & Fayard, 2023). Les chercheurs ont initialement adopté une approche par la contingence selon laquelle les tâches opérationnelles routinières que les machines pouvaient gérer étaient séparées des tâches de gestion complexes réservées aux humains (Raisch & Krakowski, 2021). Plus précisément, au-delà du travail mécanique que les machines sont censées accomplir, celles-ci assument désormais un travail cognitif, un domaine traditionnellement pris en charge exclusivement par l’humain. Cependant, les machines ont encore de nombreuses limites, ce qui signifie que nous entrons dans une ère où la relation homme-machine n'est plus dichotomique, mais évolue vers une collaboration mécanique des capacités humaines, voire une symbiose (Inga et al., 2021). Dans ce sens, certains scientifiques (Davenport & Kirby, 2016), affirment que « plutôt que d'être des adversaires, les humains et les machines devraient combiner leurs forces complémentaires, permettant un apprentissage mutuel et multipliant leurs capacités. Au lieu de craindre l'automatisation et ses effets sur le marché du travail, les managers devraient reconnaître que l'IA a le potentiel d'augmenter, plutôt que de remplacer, les humains dans les tâches de gestion » (p. 30-31) A travers une approche normative, des scientifiques (Brynjolfsson & McAfee, 2014; Daugherty & Wilson, 2018; Davenport & Kirby, 2016) ont mis en évidence les avantages de l'augmentation (mécanisme selon lequel l’humain collabore étroitement avec la machine) plutôt que le caractère néfaste de l'automatisation (selon laquelle la machine prend de plus en plus en charge les tâches humaines au travail). Selon ces auteurs, les organisations ont tout intérêt à privilégier l'augmentation qui donne lieu à de meilleures performances. En revanche, d’autres chercheurs (Raisch & Krakowski, 2021), adoptant une perspective plus complète de la théorie des paradoxes, soutiennent que, dans le domaine de la gestion, l'augmentation ne peut être clairement séparée de l'automatisation. Selon eux, ces mécanismes sont interdépendants dans le temps et dans l'espace, suscitant ainsi des tensions paradoxales qui peuvent être gérées en conjuguant simultanément les avantages de l'automatisation et de l'augmentation, ce qui permettrait des complémentarités qui profitent aux entreprises et à la société qui ne peuvent être offerts par l’un ou l’autre des mécanismes pris séparément. L'émergence de solutions basées sur l'Intelligence artificielle et les interactions croissantes des humains avec ces solutions innovantes créent une nouvelle tension managériale qui nécessite l'attention de la recherche (Raisch & Krakowski, 2021). Les chercheurs en management devraient donc alimenter le débat sur l’intelligence artificielle désormais semée et encastrée dans le champ de la gestion, afin de proposer des cadres et outils d’analyse appropriés permettant de décrire avec précision l'effet croissant voire menaçant (Kolbjørnsrud, Amico & Thomas, 2016) de l'IA sur les pratiques managériales des organisations et des sociétés. Cela suppose que les humains et la technologie co-évolueront conjointement (Murray, Rhymer & Sirmon, 2021) et collaboreront potentiellement pour créer de la valeur (Gregory et al., 2020 ; Wilson & Daugherty, 2018). Cependant, la portée de l'interaction et de la collaboration potentielles entre les machines et les humains est un sujet relativement nouveau (Obschonka & Audretsch, 2019). En s'appuyant sur ces connaissances, il peut être utile de développer une nouvelle approche interorganisationnelle basée sur l'interaction et la collaboration homme-machine (Bolton et al., 2018; Glikson & Woolley, 2020; Leoste et al., 2022; Anthony et al., 2023). Par conséquent, je crois qu'un développement plus poussé de la perspective de l'interconnectivité pourrait incorporer l'analyse des artefacts pour mieux comprendre les implications des réseaux d'alliance homme-machine pour la pratique managériale. Les travaux limités à ce jour sur la collaboration possible entre les machines et les humains offrent un terrain fertile pour la recherche sur l'interaction dynamique entre eux et les tensions paradoxales inhérentes à des relations aussi complexes (Raisch & Krakowski, 2020). Ces auteurs ont déjà initié le paradoxe de l'automatisation-augmentation de l'IA dans la gestion qui résulte des solutions basées sur l'IA et des interactions humaines. De nombreuses alarmes ont retenti sur le potentiel des technologies d'intelligence artificielle (IA) pour bouleverser la main-d'œuvre, en particulier pour les emplois faciles à automatiser. Mais les managers, à tous les niveaux, devront s'adapter au monde des machines intelligentes. En effet, l'intelligence artificielle sera bientôt capable d'effectuer plus rapidement, mieux et à moindre coût les tâches administratives qui consomment une grande partie du temps des managers (Kolbjørnsrud, Amico & Thomas, 2016). Ces auteurs admettent que ces machines intelligentes peuvent interagir avec des humains de manière collégiale, par le biais de conversations ou d'autres interfaces intuitives en les assistant dans leurs tâches quotidiennes. Alors que les travaux antérieurs couvrent l'utilisation de l'IA comme outils d'assistance, il existe toutefois une insuffisance (gap) théorique dans la littérature actuelle, notamment sur l'utilisation de l'IA dans un rôle de gestion pour la direction et l'orientation du processus collectif d'équipe (Gyory et al., 2022) dans une perspective interactionnelle dynamique « homme-machine » (Gorecky et al., 2014). Dans ce sens, les premiers travaux à s’être intéressés à l’interaction homme-machine, ont traité prioritairement la dimension concurrentielle et conflictuelle (Stark, 2022) en mettant davantage l’accent sur la menace que représentait l’IA dans l’environnement du travail, en ce sens qu’un robot risque potentiellement de remplacer l’humain dans ses activités (Kolbjørnsrud, Amico & Thomas, 2016 ; Modliński, Fortuna & Rożnowski, 2022). A titre d’exemple, dans son rapport publié en 2017[3], l'Institut de Sodexo souligne que de nombreux compromis sont à considérer, comme la concurrence humain-robot pour les emplois et la perte des décisions humaines, ainsi que la contribution précieuse que les robots peuvent apporter à la qualité de vie des collaborateurs. Ensuite, il y a eu un glissement de paradigme allant de « humain-machine compétition » vers « humain-machine coopération » (Hoc, 2000), voire même vers « humain-machine symbiose » (Inga et al., 2023), laissant émerger une nouvelle catégorie de robot appelés « cobots » dont la principale mission est de collaborer plutôt que de rivaliser avec les humains (Hughes, 2021 ; Drolshagen et al., 2021 ; Sowa, Przegalinska & Ciechanowski, 2021; Gip et al., 2022 ; Fügener et al., 2022). Ces robots collaboratifs - ou "cobots" - sont une technologie de fabrication clé pour les tâches nécessitant la coopération de l'homme et de la machine et ont été identifiés comme une tendance qui gagnera du terrain dans un certain nombre d'industries au cours des cinq à sept prochaines années (AGCS Trend Compass, 2019). Enfin, jusque-là, l’humain (le vivant) et la machine (le robot) ont été considérés comme deux extrêmes d’un même continuum (Stark, 2022). Or, des scientifiques (Krakowski, Luger & Raisch, 2022 ; Hedley et al., 2022) admettent que ni les humains ni l'IA pris de façon isolée n'expliquent les différences de performances. Selon eux, une nouvelle ressource d’avantage concurrentiel émerge de l'intersection homme-IA (robot), à travers une prise de décision conjointe. Plus spécifiquement, la dynamique simultanée de concurrence et de collaboration entre l’homme et la machine demeure à ce jour inexplorée dans la littérature actuelle, malgré quelques efforts scientifiques ayant tenté d’étudier l’une ou l’autre de ces interactions séparément de manière séquentielle. Toutefois, ces tensions paradoxales de compétition et de coopération sont omniprésentes et coexistent de manière simultanée dans ces interactions homme-machine et il va falloir réfléchir aux mécanismes de management des tensions entre l’automation et l’augmentation, permettant ainsi de tirer profit de la présence de ce paradoxe. A de très rares exceptions près (Raisch & Krakowski, 2021, Berente et al., 2021), cette piste de recherche n’a pas été explorée à ce jour. C’est cette piste prometteuse et fructueuse qui a retenu notre attention dans ce projet dans le but de prolonger ce débat scientifique et de rajouter une pierre à l’édifice dans champ de recherche interdisciplinaire, notamment en intégrant en plus du paradoxe, des dimensions omises dans cette littérature comme la dimensions émotionnelle, i.e, adapter le comportement du robot aux émotions des humains en vue d’une plus vaste acceptabilité par ces derniers (Huang et al., 2019 ; Drolshagen et al., 2021), la dimension éthique relative à la manipulation des salariés et des consommateurs (Murtarelli et al., 2021) mais aussi la dimension sociétale et environnementale avec la pollution numérique et algorithmique (Marjanovic et al., 2021). L’étude des stratégies de coopétition dans les interactions homme-machine revêt des enjeux majeurs, tant sur le plan scientifique que managérial à l’aune de l’intelligence artificielle. Ce colloque invite la soumission de contributions qui portent, notamment, sur les choix stratégiques susceptibles de caractériser la relation « humain-robot » d’une part et les mécanismes de management des tensions inhérentes à cette dynamique interactionnelle d’autre part. Plus spécifiquement, les chercheurs souhaitant y participer sont invités à réfléchir aux choix stratégiques (compétition, coopération voire coopétition) entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle susceptibles de conférer aux entreprises un avantage compétitif durable et, en conséquence, d’améliorer substantiellement leurs performances. Indépendamment de cette journée de recherche, la Revue Française de Gestion (RFG) prépare un numéro spécial portant sur une thématique connexe. Voici le lien vers l’appel à contributions: https://rfg.revuesonline.com/images/stories/news/Appel_RFG_IA_dans_les_organisations.pdf. Les rédacteurs invités de ce numéro seront présents à cette journée et présenteront le projet et pourront échanger avec les contributeurs potentiels.
[1] Nommé Tang Yu, ce robot femme est doté d’une intelligence artificielle et doit permettre à Net Dragon Websoft d’optimiser ses performances grâce à des prises de décision purement rationnelles et de faire des économies. [2] Ce robot intelligent a été développé au sein de la fondation américaine OpenAI, un organisme à but non lucratif basé à San Francisco en Californie, dont l’objectif est de faire progresser la recherche en intelligence artificielle (IA). Références bibliographiques indicatives Allianz Global Corporation & Specialty (2019). The rise of the cobots.
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Calendrier Voici les dates importantes pour participer au colloque, ou simplement y assister : 18/09/2023 : Ouverture du dépôt des résumés étendus (sous la forme d’un résumé de 2 à 3 pages au minimum, rédigé en français ou en anglais, dans lesquelles seront précisées la problématique, la méthodologie, les résultats attendus, et les références bibliographiques indicatives). 27/10/2023 : Date limite d’envoi des propositions de communication et des projets et/ou états d’avancement de thèse. 05/11/2023 : Retour des évaluateur.trice.s sur les propositions soumises. 16/11/2023 : Journée du tutorat doctoral à l'Université Paris VIII à Saint-Denis. 17/11/2023 : Journée de réflexion et d'échanges scientifiques dans les locaux d'Ascencia Business School à Paris - La Défense. Cette journée aura pour objectif de rassembler une communauté́ scientifique qui s’intéresse aux enjeux de l’IA dans les choix stratégiques des organisations, notamment la dynamique coopétitive homme-machine, et de contribuer au développement des futures soumissions aux deux numéros spéciaux en cours de négociation avec les revues internationales Long Range Planning (rang 2 CNRS) et R&D Management (rang 3 CNRS). La personne à contacter : Mouhoub HANI – mouhoub.hani@univ-paris8.fr
Propositions de Communication Les propositions de communication doivent se présenter sous la forme d’un résumé de 2 à 3 pages au minimum, rédigé en français ou en anglais, dans lesquelles seront précisées la problématique, la méthodologie, les résultats attendus, et les références bibliographiques indicatives. Le dépôt des propositions se fait uniquement via l'onglet correspondant de la présente plateforme. Attention, vous devez en premier lieu créer un compte ou vous authentifier en utilisant vos identifiants SciencesConf / HAL.
Comité Comité d’organisation: Mouhoub HANI (Université Paris 8, France) Comité Scientifique: Boualem ALIOUAT (Université de Nice, France) |
Personnes connectées : 2 | Vie privée |